
Phnom Pen, le jeudi 15 juillet 2010
Je crois que cette histoire aurait bien plu à feu Roger Peyrefitte, l’auteur de plusieurs ouvrages sur les Ambassades puisqu’il fut dans sa jeunesse « folle » un diplomate aux mœurs certes pas très orthodoxes.
Hier, 14 juillet, muni de mon carton d’invitation, direction le 1 boulevard Monivong, cap sur l’ambassade de France, célèbre depuis les événements tragiques qui s’y déroulèrent du 17 avril au 8 mai 1975. Lire à ce propos La déchirure de Christopher Hudson, Le Portail de François Bizot, et Cambodge, année zéro de François Ponchaud)
Cette année, je ne tiens pas à faire 1 km de queue comme en 2009 sous la pluie, car le nombre d’invités se situe entre 1500 et 2000 et cela se bouscule sec au portillon. Vers 20h35, j’arrive bien en retard, pas de bouchon à l’entrée, la horde sauvage hypoglycémique a du s’engouffrer dès l’ouverture du célèbre portail comme pour les soldes des grands magasins.
C’est qu’ils étaient affamés tous ces Français, résidents, franco-khmers, et touristes de passage. Effectivement, les 2 ou 3 immenses buffets ont été rapidement pillés comme s’il y avait eu une invasion de criquets migrateurs. Il ne reste que quelques merguez qui, comme l’aurait dit le regretté Reiser, n’ont pas l’air bien divines. Timidement, j’en teste une qui s’avère immangeable. On aurait dit un préservatif, fourré d’on ne sait quoi, car le latex est super résistant et ne peut pas être percé. C’est une farce de notre ambassadeur ou alors les ordres de Zorro-Sarko ont été suivis à la lettre : en temps de crise, on ne bamboche plus. Les frais de bouche sont réduits à leur plus simple expression.
Je balance discrètement l’horrible saucisse de latex sur un immense pied de caoutchouc, rendant à César ce qui appartient à César.
Je me rabats, sans joie, sur le vin rouge qui déjà semble suspect puisque la bouteille a une capsule à vis. Piquette imbuvable tenant plus de l’acide acétique que le pire des Sidi Brahim de ma tendre enfance algérienne. Séance tenante, ce vinaigre de bas étage va rejoindre la pelouse qui, demain risque de paraître bien grillée quand le soleil dardera de ses rayons dévastateurs le beau gazon de notre ambassadeur.
Un homme brillant, parait-il, ce Jean François Desmazières, mais on ne le verra pas avec la populace puisque de 18 à 20h, les VIP triés sur le volet sont reçus en grande pompe par notre honorable représentant. Cette année, le champagne servi pour ces happy few est sans doute un petit cru ou un générique bas de gamme, car l’euro est au plus bas et c’est l’austérité qui prime (dixit notre président).
Fort heureusement, il ne pleut pas comme l’an dernier, mais il y a toujours un écran géant pour le défilé en direct sur les Champs Elysées. En 2009 déjà, c’était bizzare de voir les troupes indiennes de New Dehli sur la grande avenue, mais ce coup-ci, entendre « C’est nous les africains qui revenons de loin» chanté par les troupes présentement africaines de nos ex-colonies avait de quoi surprendre. Ils auraient dû rajouter les acteurs du film « Indigènes » avec Djamel Debouzze and Co, cela aurait été encore plus drôle. Y- a- bon Banania. !!!! L’année prochaine, que vont-ils encore trouver pour nous surprendre davantage ????
L’orchestre local démarre le bal à 21 h tapantes en entamant un morceau de Rod Stewart, bien massacré, avec une sono au maximum de sa puissance, qui amplifie davantage les fausses notes. Pendant ce temps, nos troupes à Paris continuent leur défilé impeccable mais, au son démesuré d’une musique pop à la sauce khmère, c’est déroutant et anachronique. Quelques jeunes Françaises, fagotées dans d’horribles robes longues, se mettent devant la scène à tortiller du croupion.
C’en est trop, je préfère m’éclipser et je vais manger un morceau dans un petit resto sympa situé derrière le Royal Raffles. Son nom est tout un programme, Nana Restaurant, sur la rue 61, à trois minutes de mon appartement. Je me régale pour 4 USD d’un plat de fruits de mer aux légumes sauce d’huître et les serveuses ont un si charmant sourire.
Ce matin, 15 juillet, je décide d’aller herboriser au Wat Phnom, à proximité de chez moi.
Armé d’un cahie,r pour noter les noms des espèces rencontrées, et de mon Panasonic Lumix pour photographier les arbres ou arbustes que je ne connais pas, je longe d’abord la nouvelle ambassade US et le Lycée français Descartes qui jouxte mon immeuble. Cette portion de rue 67 est intéressante car elle est bordée d’énormes Dipterocarpus probablement plantés du temps du Protectorat français. Ces arbres plus que centenaires sont magnifiques mais j’ai oublié que toute la clôture de l’ambassade était bardée de caméras haute définition avec un champ de 360°. Et les pandores des ambassades, les photographes, même s’ils sont amoureux des plantes, ils n’aiment pas…..

Je continue à mitrailler l’espace public des rues 96 et 92 qui partent de Monivong vers le célèbre Wat. Je photographie le ministère de l’économie et des finances, l’hôtel Sunway, et bien sûr, tous les arbres et arbustes des jardins publics. Arrivé 5 minutes plus tard au Wat Phnom, après que j’eusse décliné les services de massage amical d’une vietnamienne, deux policiers cambodgiens, à l’uniforme ne venant pas de chez la mère Denis, foncent vers moi de façon agressive et fort inamicale.
Je ne sais pas ce qu’ils veulent, mais ils s’intéressent à mon appareil photo. Ils veulent visionner ce que j’ai pris. Je comprends alors qu’ils sont aux ordres de quelques apparatchiks US planqués comme des taupes dans leur bunker climatisé. Sur mes clichés, que des arbres, palmiers, et du vert chlorophylle. On me demande mon passeport que bien sûr je n’ai pas puisqu’au pays du sourire, on n’embête pas les touristes.
On me dirige alors vers le poste de haute sécurité près de l’entrée de l’ambassade où des plus hauts gradés semblent plus accommodants(-tur). Je décline mon identité, mon adresse, mon n° de chambre, ma nationalité alors que je suis probablement filmé sous toutes les coutures et qu’un Big Brother au hamburger dégoulinant de ketchup donne des ordres à l’oreillette de mon haut gradé khmer. Je dois même donner mon n° de GSM. On revisionne encore les photos et on me fait supprimer les bouts de béton de l’horrible ambassade quand celle-ci apparaît.
Enfin, je peux vaquer à mes occupations. Pas la peine d’avoir fait Harvard pour réaliser que je ne suis pas un terroriste sunnite. Allah Akbar comme disait souvent l’écrivain Alexandre Vialatte à la fin de ses textes. J’imagine déjà qu’à Langley tous les fichiers des puissants ordinateurs recherchent mon nom. Quand ils vont trouver sur moi, quelques références sur la Toile, ils vont être inquiets. Notamment mon article « Samba pour Sambo » référencé par Google, où je parle du fameux éléphant Sambo qui fait tégulièrement le tour du Wat Phnom.
Certains paranoïaques de la CIA vont déjà imaginer un horrible complot. Sambo bourré de dynamite se détourne de sa promenade quotidienne et son cornac le fait charger l’entrée sud (celle du consulat) pour un formidable feu d’artifice. Sans être un défenseur des terroristes, j’avoue que je regrette la destruction du splendide Club Sportif qui existait à la place de l’ambassade US jusqu’à la fin des années 90. Les Ricains l’ont racheté à coups de dollars, rasé à coups de bulldozers, et ont construit cet horrible bâtiment qui est la honte de la capitale khmère.
A mon retour, à l’hôtel, la réceptionniste m’apprend que des flics de l’ambassade sont venus chercher une photocopie de mon passeport. Comme James Bond, j’examine prudemment ma chambre, d’ici à ce qu’ils aient placé micro ou caméras miniatures. On «satan» à tout, d’autant que je croise tous les jours des Américains de l’ambassade qui logent ici à l’année.
Mon hôtel a été racheté, il y a 3 ans, par un fonds d’investissement US. Les précédents propriétaires étaient deux frères iraniens peu sympathiques, au passé assez trouble. Je les avais rencontrés à Noël 2002 lors de mon premier séjour dans cet hôtel qui s’appelait alors Old Colonial Hôtel.
Jim, l’espion qui venait du chaud
P.S. Comme l’écrivait très bien le Suisse Nicolas Bouvier dans L’usage du monde, “on voyage pour que les choses surviennent et changent, sans quoi on resterait chez soi”.