
Sur une chaîne câblée, je viens de revoir un film qui date de 1971, French Connection, avec Gene Hackman dans le rôle de Popeye, le flic tonitruant qui porte un ridicule chapeau en forme de pot de chambre. Excellent film avec de bons acteurs comme Fernando Rey, l’organisateur du trafic de drogue entre l’Europe et les USA.
L’histoire est basée sur des faits réels : des truands marseillais envoient de l’héroïne en Amérique sous d’ingénieuses couvertures. Un steward d’Air France se fit ainsi arrêter à New York et fut lourdement condamné.
Dans le film, une « mule » (Frédéric de Pasquale) est « recrutée » par Fernando Rey pour le transfert aux USA d’une grosse voiture contenant 60 kg d’héroïne pure cachée dans le marche-pied. Un paquebot mixte transatlantique transporte la bagnole et son conducteur du Havre à New York. La course poursuite sous le métro aérien du Bronx et le désossement de la voiture par la police new-yorkaise sont des moments cultes à voir et revoir.
Frédéric de Pasquale tient un petit rôle, comme dans la plupart de ses films : La Belle Vie de Robert Enrico (1963), Le Pacha de Lautner (1967), Jeff (1969) Le fils de Pierre Granier-Deferre (1973), La bonne année de Lelouch (1973), La Boum de Claude Pinoteau (1980).

Je me remémore la rencontre avec cet acteur, à Madagascar, en 1982. Pendant plus d’une dizaine d’années, de 1974 à 1989, j’allais régulièrement à Tuléar où j’avais d’excellents amis et où j’ai souvent plongé en bouteille dans le lagon d’Ifaty, petit village de pêcheurs vezo situé à 35 km au nord de la ville.
Je logeais régulièrement à l’hôtel Mora-Mora tenu, depuis 1974, par mon ami Jacques Ducaud. Jacques, d’origine bordelaise mais né à Madagascar, était un excellent plongeur. En pirogue, il m’emmenait faire de belles plongées dans la passe sud par 32 mètres, et la passe nord par 25 mètres. Le lagon d’Ifaty était à cette époque l’aquarium de Dieu, pour reprendre l’expression de Bernard Gorski, et nous donnions à manger aux requins, aux mérous et aux murènes.

En 1982, à l’hôtel voisin, le Zahamotel, une équipe venue de France tourne un long métrage. Les acteurs principaux sont Danielle Volle, Perrette Pradier, Frédéric de Pasquale, James Sparrow et quelques amateurs malgaches comme Michel Ranarivelo et Dominique Rabeony. La réalisatrice, Anne Revel, a fait toute une série de téléfilms du même genre avec son actrice fétiche, Danièle Volle. Ce nouveau film se nommera Paris-Madagascar et passera une ou deux fois sur le petit écran, puis tombera dans l’oubli. A ma connaissance, il n’a jamais été projeté sur grand écran et n’est jamais passé à La Réunion.
On discute avec quelques membres du film et certains se plaignent de la cantine du Zahamotel, qui n’a pas très bonne réputation. Nous les faisons saliver avec les spécialités de langoustes grillées du Mora Mora. Il est rapidement convenu que quatre acteurs viendront y déjeuner le lendemain.

Belle ambiance au Mora Mora avec, comme convives, Perrette Pradier et Frédéric de Pasquale. Nous sympathisons. Rendez-vous est pris pour le lendemain. Frédéric fera une sortie « lagon » avec la pirogue du Mora Mora. Il a, dit il, plongé souvent, notamment au cours du film Jeff dont les vedettes étaient Alain Delon et Mireille Darc. En attendant, il a le dos brûlé de coups de soleil, ayant abusé à l’heure méridienne des rayons traîtres du tropique du Capricorne. Lolo, la délicieuse compagne malgache de Jacques Ducaud, passe des tomates mûres sur ses brûlures pour réhydrater son épiderme délicat, devenu écarlate.
Le lendemain, aux aurores, départ vers la passe sud distante de 5 km de la côte. Nous nous arrêtons par 5 mètres de fond dans un endroit baptisé «L’aquarium» pour tester les capacités aquatiques de l’acteur. Je l’équipe d’une bouteille jaune Spirotechnique, d’un détendeur Aquilon et d’une ceinture de plomb. L’essai n’est pas du tout concluant. De Pasquale, par moins 4 mètres, fait probablement une de ses premières plongées en bouteille. Comme il ne semble pas à l’aise et n’a visiblement pas la palme académique, je décide de remonter au bout de cinq minutes et cela se termine par un petit circuit en apnée par deux ou trois mètres de fond.
L’équipe du film reviendra une ou deux fois manger au Mora Mora et Perrette Pradier, qui sait mettre l’ambiance, a une forme du tonnerre et un dynamisme étonnant.

2005 à Tana. Je fais une enquête, notamment au Centre culturel Albert Camus. Personne ne possède la cassette de ce film qui est passé une fois à la télé malgache au milieu des années 80. Ma seule piste, c’est de retrouver l’instigateur du film, Michel Ranarivelo. Il y tient le rôle de Charles, chargé de piloter Danièle Volle à son arrivée à Tana. Au début du film, on visite ainsi la capitale : Analakely et son marché, le lac Anosy et ses jacarandas, et enfin l’hôpital Befelatana puisque Danièle Volle vient à Madagascar dans le cadre d’une mission médicale à but humanitaire.

Ce téléfilm, Paris-Madagascar, est définitivement tombé dans les oubliettes, comme de trop nombreux films. Malgré le peu de consistance de l’intrigue et son coté plus documentaire que dramatique, je le revois de temps à autre avec plaisir et nostalgie car il est un témoignage unique du Madagascar des années 1980. Au début du film, le bal à Ambohimanga avec Danielle Volle, qui chante et qui danse, semblera à certains un peu ridicule mais je souris chaque fois de ce charme désuet quand je revois cette scène surannée.
C’est Claude Ranarivelo, opticien à Tananarive, qui fort gentiment me communiquera l’adresse de son frère Michel, installé à Mougins, dans le sud-est de la France. Michel, qui ne possède qu’une cassette VHS du film, me fera faire une copie sur DVD et, grâce à lui, je suis probablement un des rares à posséder une archive de ce film dans l’océan Indien.
L’actrice Danelle Volle est morte d’un cancer le 24 novembre 2000. Frédéric de Pasquale, qui souffrait du même mal, est décédé à Rouen en 2001. Perrette Pradier, qui était née à Hanoï, nous a quittés en 2013. Claude Ranarivelo est décédé en 2012 et son frère Michel est revenu dans son île pour les obsèques. Claude, que je n’ai connu que par deux ou trois communications téléphoniques, était un personnage hors-norme et une figure marquante de Tananarive.
Peut-être, pour sa postérité, aurait-il mieux valu que Frédéridc e Pasquale disparaisse au cours de cette mémorable plongée dans le lagon d’Ifaty. Sa valeur cinématographique enfin reconnue aurait alors dépassé celle de ses apnées et son mérite aurait peut-être été couronné par une palme à titre posthume.
On ne meurt que dans l’oubli.
Bernard, Tananarive, le 2 juillet 2014