
Nicole Ludwig nous a quittés prématurément, hélas, et nous sommes tous à la fois veufs et orphelins.
J’ai été chargé de cette triste rubrique mais, Nicole, tu ne seras pas là pour corriger le texte. Aussi dois-je m’appliquer pour que tu ne te retournes pas dans ta tombe, suite à un solécisme, un barbarisme ou une faute de style.

Notre association Palm-Réunion est en deuil et en quelque sorte tous les beaux palmiers de la Réunion également. Certains ont cru bon d’apposer symboliquement un crêpe noir à chacun des arbres de ton beau jardin. Triste spectacle et désolant silence dans ce parc parfois si animé par tes commentaires pertinents.

En refaisant, ce matin, la visite en solitaire, j’ai même cru voir quelques larmes sur le limbe de certains lataniers. Nos beaux palmiers auraient-ils donc une âme et s’attacheraient-ils à leur jardinier ? Tu aurais sans doute aimé reposer au pied de l’un de tes arbres préférés. Mais, lequel ? Tu n’as laissé aucune volonté et la loi, de plus, s’y oppose.
Le mieux serait peut-être de disperser tes cendres au pied de la centaine d’espèces de ton domaine de Petite Ile. Ainsi, ta matière pourrait renaître sous forme de végétal ! Quel pied d’être enfin en plein soleil et de ne plus en souffrir !
Evidemment, finis les petits gewurtzstraminers, les vins jaunes et autres tokay pinot gris ! Ta boisson ne sera plus que de l’eau, de pluie divine si le réchauffement climatique ne se pérennise pas.

Douée de synthèse chlorophyllienne, ce n’est pas avec les ailes d’un ange que ton âme s’élancera vers le ciel mais, par le beau stipe velouté d’un dypsis leptocheilos, tu gagneras le vert paradis des naturalistes, au rythme de la lente croissance de ce végétal dont tu es maintenant l’essence et la quintessence.

Tu ne nous as jamais dit si tu croyais en la réincarnation, mais je pense que tu aurais aimé revivre sous la forme d’un palmier. Lequel ? J’entends certains mauvais esprits proposer palmier bouteille, palmiste poison ou palmier bonbonne. Le palmiste Roussel te conviendrait mieux.

D’abord parce qu’il est endémique d’une île qui t’a beaucoup donné et à laquelle tu as aussi beaucoup donné. Ensuite, parce que tu as consacré beaucoup de ton temps pour l’étudier, le décrire et le faire reconnaître comme une espèce à part entière.
Il serait bien, je crois, qu’il porte ton nom mais cela va faire des jaloux. Acanthophoenix ludwigi, cela sonne bien et tu auras ainsi marqué ton passage et laissé à jamais ton souvenir parmi nos amis les palmiers.
Adieu, chère Nicole et, hélas à bientôt.
Bernard
